Parce qu’un blog c’est d’abord un journal personnel, je trouve dommage de s’en tenir à une ligne éditoriale stricte.
Préambule
Si je souhaite aujourd’hui rédiger un article différent c’est que de nombreux sujets nous intéressent tous mais qu’il est malheureusement trop délicat de les aborder en 140 caractères.
D’un car le support n’est pas adapté, et de deux car les limites du support Twitter laissent le champ libre à de nombreuses interprétations douteuses.
Etre contre la libéralisation de la sécurité sociale ne veut pas dire qu’il n’y a rien à changer, bien au contraire, ce que je souhaite exposer ici, c’est qu’à mon sens la direction engagée n’est pas la bonne.
NB : les principes et notions abordées seront volontairement vulgarisées, d’une part car je ne suis ni juriste, ni un expert en économie, et d’autre part parce que c’est l’idée qui doit prédominer dans l’échange et non l’encyclopédie. S’il y a un principe de base en économie, c’est que chaque théorie est contestable, les commentaires sont faits pour ça dans le respect bien entendu.
Le débat initial portait sur la récente décision de la Cour Européenne d’abroger le monopole de la sécurité sociale.
Sur le principe de la liberté et de la liberté contractuelle, on peut tout à fait comprendre le fait que chaque individu puisse librement opter pour le régime d’assurance qu’il désire. Sur la forme, je suis en revanche bien plus inquiet sur la concrétisation d’une telle mesure.
Liberté contractuelle
La liberté contractuelle c’est le libre choix donné à chacun d’adhérer ou non au contrat mais aussi de choisir la personne avec qui on décide de contracter. Le droit contractuel peut être forcé dans certains cas comme l’obligation de choisir une police d’assurance pour son véhicule. On parle alors de contrats forcés justifiés par l’intérêt commun.
Les limites de la liberté contractuelle pour la sécurité sociale
Si l’on s’en tient aux principes libéraux et aux revendications faites auprès de la commission européenne, chaque individu serait libre de choisir son organisme de sécurité sociale. MAIS, si on devait appliquer à la lettre la liberté contractuelle, nous serions également libres de souscrire ou non à un régime de sécurité sociale. On ne peut à mon avis faire valoir le principe de liberté contractuelle en l’associant à un contrat forcé.
Les risques sociaux et économiques
L’objectif n’est ici pas de remettre en question le financement de la sécurité sociale, on s’écarterait trop vite du sujet, et cela nécessite à mon avis une autre analyse basée cette fois ci sur la remise en question du mode de gestion décidé par les politiques et différents acteurs qui se sont succédés au plus haut commandement de l’état.
Le postulat du libre choix d’adhérer ou non
Si on admet pousser le vice de la libéralisation à outrance en pariant sur la responsabilité des individus (ou agents économiques), il est important d’admettre 2 hypothèses :
Hypothèse 1 : tout le monde adhère à un équivalent de la sécurité sociale
La première hypothèse serait que tous les individus souscrivent à un organisme privé ou public de sécurité sociale. Auquel cas, l’ensemble de la population pourrait se voir proposer des prestations équivalentes au choix de l’organisme collecteur.
Même dans le meilleur des mondes cela ne serait pas possible et cela nous amène directement à l’hypothèse 2.
Hypothèse 2 : certains agents économiques adhèrent, d’autres pas
Plusieurs raison peuvent expliquer les décisions des individus à souscrire ou non :
- Coûts
- Circulation de l’information et sensibilisation
- Complexité de mise en place
- Responsabilisation des agents économiques
Précarité et régression sociale
En admettant l’hypothèse 2, on se prépare rapidement à une catastrophe sociale sans précédent avec un creusement des inégalités face à la protection.
La consommation
La consommation est l’un des usages possibles du revenu qui se divise en 2 branches :
– Epargne
– Consommation
Vous comprendrez aisément que la part du revenu prélevée auparavant à la source pour les contributions à la sécurité sociale s’ajoutera mécaniquement au revenu global des individus. Le revenu augmentant, les agents économiques arbitreront entre les 2 usages possibles évoqués ci-dessus.
Seulement, si on reprend les raisons qui motivent l’adhésion ou non à un régime, on doit retenir l’idée que le prélèvement autrefois à la source se transforme en coûts direct pour les agents économiques venant impacter le revenu.
En supposant que les individus bénéficiant déjà de revenus confortables adhèrent à un régime (ou pas), on ne peut que s’interroger sur le choix des revenus les plus modestes.
La propension marginale à consommer et loi de Engel
La propension à consommer mesure la fraction du revenu que consacre l’individu à la consommation.
(dépenses X 100)/revenu = propension à consommer
Pour faire simple, si un individu gagne 2000€ par mois et qu’il dépense 1800€ et épargne 200€ sa propension à consommer sera de 90%
Mais lorsque que le revenu augmente ou diminue, cette propension à consommer évolue, on parle alors de propension marginale à consommer
Les dépenses en alimentation sont par exemple proportionnellement supérieures pour les revenus les plus faibles et inversement pour les revenus les plus élevés.
Plus le revenu augmente et plus la part consacrée à l’alimentation sur le revenu global doit diminuer. On parle alors de coefficient budgétaire pour l’alimentation ainsi de suite pour toutes les dépenses.
Dans une situation idéale, les agents économiques devraient réaffecter ce revenu supplémentaire dans la solution de protection sociale de leur choix.
Ça c’est en théorie …
Dans la réalité, les travaux des économistes démontrent que les revenus des classes moyennes et des classes modestes privilégient la réaffectation de revenus complémentaires en revenus de premières nécessités : alimentation, logement, transports, vêtements…
Cette situation s’explique par les grandes différences de niveau de vie mais aussi et surtout des différences de mode de vie entre les différents agents économiques.
Concrètement et pour faire simple, si demain l’état se désengage de la sécurité sociale en laissant les individus libres d’opter ou non pour une protection sociale en contrepartie d’un revenu supérieur, la majorité des personnes n’utiliseront pas ce revenu supplémentaire pour se protéger.
Pour avoir une idée de la priorisation des dépenses, il suffit de regarder combien de personnes au salaire minimum bénéficient d’une couverture complémentaire (mutuelle) non fournie par l’employeur…
Ce revenu sera en grande majorité absorbé par les dépenses courantes et l’amélioration à court terme de la qualité de vie.
Alors oui cela serait une formidable boost du pouvoir d’achat, de la consommation, de la croissance, mais un échec cuisant dans les années à venir.
Que faire des individus sans protection ? Sous prétexte qu’ils devaient prendre en main leur couverture sociale, peut-on en 2013 laisser les gens sans protection sociale ? Je m’interroge.
D’autres pistes de réflexion
Quelles sont les responsabilités des intervenants privés dans la protection sociale ? Quelles garanties pouvons-nous avoir en cas de faillite ? Quels seraient leurs critères d’acceptation des individus ? Quels prix et quelle offre ?
Attention à ce que le secteur ne finance pas une nouvelle fois ce qui n’est pas rentable pour les acteurs privés et perde la gestion de ce qui pourrait être profitable.
Bonjour
J’apporte quelques petites précisions sur ce sujet.
L’abrogation du monopole de la sécurité sociale n’est absolument pas récente; elle s’est faite il y a une vingtaine d’années en deux temps: d’abord en 1994 pour les systèmes d’Assurance et de Prévoyance (directives européennes 92/49/CEE, 92/50/CEE et 92/96/CEE) puis en 2001 pour les mutuelles. A ce sujet, les lois sont les suivantes: lois n°94-5 du 4 janvier 1994, n°94-678 du 8 août 1994 et 2001-624 du 17 juillet 2001.
Les récents événements que tu évoques ne sont juste que des rappels à l’ordre de la justice Européenne vis à vis de pratiques commerciales déloyales pratiquées par la caisse de sécurité sociale Allemande.
Au même titre qu’une assurance est obligatoire pour conduire une voiture en France, une assurance sociale est également obligatoire, et celle-ci n’est plus régie par un monopole d’État, contrairement à ce qu’affirme une sécurité sociale Française
totalement aux abois et surtout ruinée !
Donc, ton hypothèse numéro 2 ne peut s’appliquer en France.
Pour le reste, je ne peux que conseiller de se faire une idée en suivant les aventures de Laurent C:
http://www.contrepoints.org/author/laurent-c
Bonjour Thibaut, enchanté de te voir passer ici et merci de prendre le temps de répondre.
Pour la date, en effet, je ne peux que confirmer tes données, je me suis probablement mal exprimé, en souhaitant réagir au litige qui oppose la l’organisme de sécurité sociale allemand et la Cour de justice Européenne.
Pour la partie assurance sociale, nous sommes bien dans le cadre d’un contrat forcé. Que l’on puisse juger monopolistique et déloyale la position de la sécurité sociale, c’est un fait. Ce qu’il ne faut pas, c’est utiliser le principe de la liberté contractuelle pour choisir ou non l’adhésion à un quelconque régime de protection sociale. Et c’est bien là l’idée des plus libéraux.
J’ai bien entendu suivi de près l’histoire de Laurent sur contrepoints. Je trouve la démarche courageuse et enrichissante pour tous.
Cependant, quelques éléments me paraissent surprenants:
– rattacher ses enfants à la sécu de sa femme ?! Financièrement très rentable, un peu moins dans l’idéologie du tout libéralisme.
– « Enfin, dans le pire des cas, la sécu est obligée de me reprendre si je recotise chez eux ou même sans emploi en me rattachant à mon épouse qui cotise déjà. D’ailleurs la sécu prend même ceux qui ne cotisent pas (CMU) ou même ceux qui sont étrangers en situation irrégulière (AME). C’est dire ! »
Attention à ce que la sécu ne deviennent pas l’échappatoire d’une protection sociale à 2 vitesses. Car comme tu le précises, la sécu est ruinée, ça je pense que nous sommes tous d’accords sur ce point, cela s’améliorera t-il si elle devient la roue de secours du système de protection sociale ?
Les profits pour le privé, les pertes pour le public ?